Créée en 1934, la FSGT fête cette année ses 90 ans ! À cette occasion, Sport et plein air a préparé une série d’articles traitant de l’histoire de la Fédération. Dans ce numéro, il est question de la place qu’a occupé le sport populaire entre 1940 et 1944, alors que le pays était occupé par l’Allemagne nazie...
La Seconde Guerre mondiale constitue un moment pivot dans l’évolution de la France au vingtième siècle. Et, contrairement à ce qu’a voulu longtemps faire croire, le sport n’a pas été épargné par les choix, les trahisons et les bassesses de l’époque...
Alors que, sous la houlette de Philippe Pétain (à qui les deux assemblées ont confié les pleins pouvoirs après la défaite de 1940), le nouvel État français fait le choix de la collaboration avec l’Allemagne nazie, nombreux sont les acteurs du monde sportif s’accommodant fort bien de ce régime qui prétend faire la part belle aux activités physiques et sportives pour régénérer la « race française ». Si certaines fédérations sont dissoutes, la plupart d’entre elles suivent le mouvement, notamment charmées par l’aura d’un certain Jean Borotra.
Des héros sportif·ves, anonymes ou non, sortiront néanmoins du rang et décideront de lutter contre l’occupant et ses séides tricolores ! Mais comment raconter leur histoire ? Peut-être en commençant par évoquer les baraquements du camp de Chateaubriant, situé près de Nantes.
Là-bas, il y a un jeune garçon dont le nom s’inscrira dans l’histoire de notre pays : Guy Môquet. Fils du député communiste Prosper Môquet, Guy est un adolescent qui s’est très rapidement engagé dans la Résistance. Arrêté dès 1940, il pratique la course à pied entre ces hébergements précaires avant d’être fusillé en octobre 1941.
Sport libre
Ancien secrétaire général de la FSGT et militant du PCF à la carrure imposante, Auguste Delaune est interné dans le même camp que le jeune Guy Môquet. Mais il s’évade de Chateaubriant le 21 novembre 1941, notamment pour fonder « Sport libre », un mouvement de résistance et un journal qui portent le fer de la contestation contre Vichy et sa politique sportive, et rejoindre les résistant·es communistes.
Première épouse de Delaune et elle aussi sportive rouge, Lise London racontera dans ses mémoires (Le printemps des camarades aux éditions du Seuil) une rencontre fortuite avec lui survenue au début de l’été 1942 :
« Le hasard voulut que nous nous trouvions au même moment dans le hall de la gare du Nord où j’avais rendez-vous avec des responsables de nos comités féminins de la résistance de Seine-et-Oise. Lui aussi attendait quelqu’un, nous avons échangé un regard mais, appliquant les lois de l’illégalité, nous nous sommes ignorés au cas où l’un de nous aurait été filé. »
Cette rencontre fut leur dernière car celui qui fut l’auteur de belles performances dans divers cross-country avant la guerre est finalement arrêté par la police française. Décédé en septembre 1943 après avoir été torturé à mort par la Gestapo, il est devenu, à l’instar de Gabriel Péri, l’un de ces incontournables patronymes qui inscriront la Résistance dans nos rues et aux frontons de nos enceintes sportives. Surtout à Reims durant les années 1950, où une grande équipe, celle de Raymond Kopa, le mineur devenu Ballon d’or, écrit ses plus belles pages dans son stade « Auguste Delaune ».
Footballeur et partisan
Le sport populaire compta de nombreux résistant·es dans ses effectifs. Citons par exemple le cas d’Albert Van Wolput. Figure du socialisme dans le département du Nord et du mouvement de résistance Libération-Nord, il sera par la suite un membre éminent de la Commission sport de la SFIO et de la FSGT locale après 1945.
Fusillé par l’occupant le 21 février 1944 au Mont-Valérien, Rino Della Negra était un des plus jeunes membres du groupe FTP-Moi de Missak Manouchian. S'il n’apparaît pas sur la célèbre affiche rouge placardée par les nazis pour ostraciser ces « criminels étrangers », les supporters les plus engagés du Red star, dans lequel ce footballeur d’origine italienne est passé, ont rebaptisé leur tribune en son honneur et lui rendent hommage tous les ans pour marquer l’ancrage populaire et antifasciste de ce club situé à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
Avant de rejoindre le Red star, Rino Della Negra avait brillé sur les pelouses de la Fédération, notamment dans l’équipe corpo de Chausson, avec laquelle il remporte la Coupe de la Seine en 1938, et à la Jeunesse sportive Jean Jaurès d’Argenteuil (JSJJA) qui gagne la Coupe du Matin en 1941. Un trophée singulier dans le contexte particulier de la guerre...
En effet, le jeune Rino intègre la JSJJA en 1940, au sein d’une « FSGT "épurée" de ses éléments communistes et dont la direction soutient la collaboration », précise l’historien Dimitri Manessis, coauteur d’un ouvrage sur ce footballeur (Rino Della Negra, footballeur et partisan aux éditions Libertalia).
« Pourtant, ce tissu associatif reste investi par de nombreux militant·es entré·es dans la Résistance. Nul doute que son passage au sein de la sociabilité sportive ouvrière a joué un rôle supplémentaire dans la prise de conscience et l’engagement de Della Negra. »
Shoah et rescapé·es
Une autre réalité dramatique va s’imposer au sport populaire : la Shoah. Immense nageur, Alfred Nakache n’a plus le droit de participer aux Championnats de France de la Fédération nationale de natation en raison de la politique antisémite de Vichy. Le réseau de résistance Sport libre tente bien de sensibiliser et de mobiliser les sportifs et sportives sur son sort, mais il est finalement déporté avec sa famille en 1944 et reviendra seul d’Auschwitz...
Trieste Teglia, jeune dirigeant du Comité FSGT de la région parisienne ayant rejoint les FTP bretons durant la guerre, découvre l’ampleur de la solution finale en revenant à Paris et dans son club de quartier. « J’ai compris que quelque chose de terrible s’était passé, toutes les filles de l’équipe de basket avaient disparu », témoignait-il à l’occasion du 60e anniversaire de la Fédération. En 1947, la FSGT publie d’ailleurs un almanach dans lequel figure la liste de ses membres victimes de la guerre et distingue, chose rare au sortir du conflit, déporté·es « politiques » et « raciaux ».
Certains reviennent néanmoins des camps. Henri Krasucki, futur secrétaire général de la CGT, qui avait pratiqué le basket au Yiddisher arbeter sport club puis le foot à l’Entente sportive de Belleville avant la guerre, est sûrement un des exemples les plus connus. Des rescapé·es trouveront également le chemin des clubs ouvriers, comme le regretté Addy Fuchs, n°177063 à Auschwitz et 33 kilos à son retour, qui deviendra un militant infatigable du Club populaire et sportif du 10e arrondissement de Paris et du volley FSGT.
À la Libération, l’espoir de reproduire, dans le sport, les avancées démocratiques et sociales immenses du CNR et de son programme existe. Présidé par Jean Guimier, dirigeant de la Fédération, un Congrès du sport se tiendra en juin 1946 à l’Hôtel de ville de Paris et de nombreuses commissions abordent l’ensemble des questions imaginables.
Toutefois, dans un contexte qui voit s’effriter l’unité fragile de la Résistance, l’événement ne rencontre quasiment aucun écho, tant auprès des autres fédérations sportives que de l’administration. En France, la guerre froide naissante tire déjà ses premières cartouches idéologiques...
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