On pensait l’idée enterrée, mais voici qu’elle resurgit ! En décembre dernier, une organisation privée a proposé un nouveau projet de Super league européenne de football qui favoriserait les plus grandes équipes, ou du moins les plus riches… Interrogé à ce sujet, Christophe Lepetit, économiste du sport, répond à nos questions.
Quelle est la logique de la Super league dans le football ? Est-elle le symbole d’une rupture ?
Christophe Lepetit : La logique à l’œuvre derrière cette évolution est celle que l’on constate dans de multiples pans de la société et dans l’économie de notre pays : celle d’une libéralisation de plus en plus importante. En effet, contrairement à ce que ses promoteurs peuvent en dire aujourd’hui pour tenter d’amadouer les fans et/ou la sphère politique, qui avaient été parmi les opposants les plus virulents au projet lancé en 2021, ce projet, tel qu’il est pensé, est avant tout fait pour servir les intérêts d’une petite oligarchie d’auto-proclamés grands clubs. Sur la seconde partie de la question, je ne pense pas que la Super league, ou la menace de sa mise en place, constitue une véritable rupture dans la mesure où il s’agit d’une sorte de vieux de serpent de mer. Son lancement, en revanche, pourrait constituer une forme de rupture si jamais les sanctions ou menaces de sanctions que l’UEFA et/ou les ligues domestiques pourraient prendre s’avéraient inefficaces… Ceci étant dit, il conviendrait de voir quels clubs prendraient part à cette compétition.
La Super league serait-elle un risque pour le modèle footballistique européen ?
Christophe Lepetit : Il s’agit clairement d’une menace dans le sens où, bien qu’étant facialement ouverte, c’est-à-dire partiellement accessible sur la base du mérite sportif et des résultats dans les compétitions domestiques, il s’agit d’une ouverture très partielle. D’après les informations à notre connaissance, seul le troisième échelon de la future Super league serait accessible par la voie des résultats sportifs. Mais comment ? Par des clubs de quels pays ? Dans le même temps, la grande majorité des équipes resteraient qualifiées d’une année sur l’autre… Donc contrairement au système proposé par l’UEFA, aujourd’hui à travers la Ligue des champions, l’Europa league et la Conference league, dont l’accès est basé sur les classements sportifs dans les ligues domestiques de la saison précédente, on a un système qui est beaucoup plus fermé… Cela ne veut pas dire que le système de l’instance européenne est parfait et qu’il ne faut pas chercher à l’améliorer, notamment car il a progressivement évolué pour favoriser les « grands » clubs. De même, l’UEFA assure des versements de solidarité au sein des 55 associations membres et les promoteurs de la Super league indiquent qu’eux-aussi le feront… Mais qui garantit que cela sera le cas dans la durée ? Comment cela sera-t-il fait ? Encore une fois, il subsiste une grande opacité sur ces sujets. Bref, ce projet en l’état reste une menace pour le modèle européen et oriente définitivement le foot professionnel vers une industrie déconnectée de la base de la pyramide.
Le football amateur doit-il également redouter la mise en place d'une Super league ?
Christophe Lepetit : La menace est un peu plus lointaine ou diffuse pour le foot amateur, mais elle existe potentiellement, oui. Notamment au regard des questions entourant les versements de solidarité que la Super league effectuerait, ou non. Si demain ses promoteurs décident de les supprimer ou de les affecter à des projets très éloignés de la base, le football amateur pourrait en souffrir. Cette menace est moins palpable dans le système de l’UEFA dans la mesure où ses membres sont les fédérations et que le système fédéral européen constitue un tout indissociable : les clubs et les joueurs du bas de la pyramide aujourd’hui sont potentiellement ceux de la Ligue des champions de demain. L’instance a donc intérêt à maintenir le rêve possible et à financer le développement du talent sportif, quand la Super League pourrait, de son côté, simplement attendre que les meilleurs joueurs arrivent chez elle sans se soucier de la formation. Un peu à l’image de la NBA ou des ligues nord-américaines qui ne se soucient que peu de ces sujets…
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