Se définissant par la consommation répétée d’un produit ou la pratique anormalement excessive d’un comportement, l’addiction touche des millions de personnes en France. Les activités physiques et sportives font partie des outils thérapeutiques permettant de lutter contre cette pathologie, mais gare aux abus...
Tous les ans, le tabac, l’alcool et la drogue sont à l’origine de dizaines de milliers de décès dans l’Hexagone et on compte désormais plus de 300 000 Français·es accros aux jeux d’argent *… Si tous ces chiffres sont bien évidemment inquiétants, sachez toutefois qu’il est possible de combattre ces addictions en réalisant, en complément d'autres traitements, des activités physiques et sportives !
Avant de revenir sur le pourquoi du comment, il est nécessaire d’expliquer ce qu’est une addiction. Selon l’Inserm (l’Institut national de la santé et de la recherche médicale), cette pathologie « repose sur la consommation répétée d’un produit ou la pratique anormalement excessive d’un comportement » et « des critères bien définis » (par ailleurs visibles dans l’encadré ci-dessous).
« Le modèle de l’addiction est un modèle global, bio-psycho-social, et un comportement addictif est lié à des facteurs de vulnérabilité d’ordres génétique et environnemental », détaille le docteur Christophe Robert, médecin du sport et addictologue au sein du centre de réadaptation Escale-Thébaudais de l'Union pour la gestion des établissements des caisses d'assurance maladie de Bretagne/Pays-de-la-Loire.
« On peut distinguer trois niveaux de dépendance : la dépendance physique, la dépendance psychologique et, enfin, la dépendance comportementale. »
À noter qu’on définit également l’addiction par « la poursuite de la consommation d’un produit ou d’une pratique excessive en dépit des connaissances sur les conséquences délétères qu’elles entraînent », poursuit le docteur Robert.
« Ce sont des conséquences physiques à l’instar des cancers ou des problèmes cardiaques que provoquent le tabac et l’alcool, mais aussi des conséquences psychiques avec la possible apparition de troubles anxieux, même si il faut préciser que ces troubles sont déjà parfois présents chez certains et peuvent justement favoriser la consommation des ces substances, et des conséquences sociales et professionnelles comme la précarité, des problèmes judiciaires ou la perte d’un emploi chez des amateurs de jeux d’argent. »
Grâce au sport !
L’Inserm indique qu’une addiction « nécessite le plus souvent l’association d’un traitement médicamenteux, d’une prise en charge psychologique individuelle et/ou collective et d’un accompagnement social ». Mais le sport est également à intégrer à ces outils thérapeutiques…
« Si les études portant sur ce sujet sont de qualités variables, elles montrent cependant que l'activité physique est par exemple très utile pour les personnes souffrant d’un trouble de l’usage d’une ou de plusieurs substances psycho-actives », affirme le docteur Christophe Robert.
« Cela s’explique notamment par le fait que la pratique sportive augmente la concentration de certains neurotransmetteurs qui interviennent dans les circuits de la récompense et du plaisir et qui sont aussi activés par l’alcool ou des drogues. On pense donc que l’exercice sert à remplacer leur consommation. »
« Sur le plan addictologique, on remarque un effet bénéfique sur l’envie de prendre une ou des substances et la réduction des symptômes survenant lors de l'arrêt de la consommation », continue le praticien.
« Au niveau psychiatrique, les symptômes dépressifs, l’anxiété et le stress diminuent de manière significative grâce au sport et cela permet probablement de réduire le risque de rechute. En outre, la réalisation d’une activité physique s’accompagne souvent d’autres comportements favorables à la santé et améliore la condition physique, la cognition et la qualité de vie. »
Des études comparatives supplémentaires sont nécessaires, mais « l’efficacité du sport semble être la même peu importe le type de pratique ou le niveau d’intensité », enchaîne le Dr Robert.
« Les personnes qui souffrent d’un trouble de l’usage d’une ou de plusieurs substances étant fragiles, il est néanmoins fortement conseillé de faire un bilan médical avant de commencer, ou de recommencer, une activité physique et d’y aller en douceur. Enfin, la supervision d’un animateur peut être utile. »
Si certain·es en doutent encore, les bienfaits des activités physiques et sportives sont bien réels ! En 2020, un article du Journal toulousain sur le programme « Sport odyssée », mené par le Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie de Nice mettait d'ailleurs en avant celui d’un accro au cannabis. « Grâce à cette initiative, je suis maintenant sorti de mon addiction », expliquait-il.
« C’est sympa, on est en groupe, on fait de la course, du yoga, des balades en vélo, et aussi du kayak (...) Aujourd’hui, je ne fume plus et je fais du sport de manière autonome. Je sens la différence, je dors beaucoup mieux, je me sociabilise, cela a été très positif pour moi. »
Un an avant, L’Orne hebdo révélait l’histoire d’un homme ayant remplacé l’alcool par la course à pied. « Le jour où j’ai soufflé dans un ballon, ce fut le déclic », confiait ce dernier dans les colonnes du journal normand. Souhaitant se « reprendre en main » et « rattraper le temps perdu », cet ancien footballeur décide de se lancer dans le trail en 2016. Trois années plus tard, il se préparait pour une épreuve de 200 kilomètres…
Gaffe au sport…
Si le coureur évoqué juste avant assure que cette activité physique « n’est pas une drogue » pour lui, l’addiction au sport existe bien et porte même un nom particulier : la bigorexie. Dans une fiche produite par l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance) et le Creps (Centre de ressources d'expertise et de performance sportive) des Hauts-de-France, il est écrit que les « individus souffrant de dépendance à l'effort font état de souffrances quasi-identiques à une addiction " classique " : apparition d'état dépressif en cas de sevrage, comportements " jusqu'au-boutiste " occasionnant des blessures graves voire irréversibles, souffrances sociales (...) avec le délaissement de la vie familiale et professionnelle pouvant entraîner divorces, pertes d'emploi, rétrécissement du cercle d'amis... »
Cette conduite addictive est notamment due à des réactions physiologiques (comme la recherche constante des sensations agréables produites par le cerveau lors d’un exercice musculaire) et psychologiques. Concernant ces dernières, on pense instinctivement aux performances pures (et attention au dopage dans cette situation !) dont la poursuite est favorisée par des diktats sociaux. « Quand je courais, je pensais à la fin, quand j’allais enfin pouvoir le partager sur les réseaux [sociaux] et où des gens allaient me dire " Comment tu fais ? Même moi je n’aurais pas eu cette motivation ! " », indiquait une jeune amatrice de course à pied dans un article publié par 20 minutes en avril 2021. Et on ne parle même pas des représentations du corps que ces diktats imposent parfois…
Pour réussir à vaincre leurs addictions, les personnes atteintes de bigorexie sont invitées à varier leurs sources de plaisir (en changeant par exemple d’activités sportives certains jours s’ils/elles n’en trouvent pas ailleurs) et leurs entraîneur·es/animateur·rices possèdent aussi un rôle essentiel dans leur accompagnement. Selon la fiche de l’Insep et du Creps des Hauts-de-France, ils/elles peuvent leur permettre de mieux « gérer les durées et volumes d’entraînement », de « limiter le stress et l’anxiété », de « renforcer l'estime de soi » et, si besoin, d’« orienter vers un psychologue du sport ». Les comportements addictifs ayant souvent des liens importants avec d’anciens traumatismes…
* Les premiers chiffres sont fournis par l’Insee et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé tandis que les seconds sont issus d’une étude menée en 2020 par Santé publique France, l'Observatoire français des drogues et toxicomanies et l'Observatoire des jeux.
Addiction : les onze critères !
Le DSM-5 (5e édition du Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders de l'American psychiatric association) est un ouvrage répertoriant les onze critères qui permettent de diagnostiquer une addiction en cas de consommation répétée d’un produit ou la pratique excessive d’un comportement. Ces critères sont les suivants :
- Besoin impérieux et irrépressible de consommer la substance ou de jouer
- Perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise de substance ou au jeu
- Beaucoup de temps consacré à la recherche d'une substance ou au jeu
- Augmentation de la tolérance au produit addictif
- Présence d’un syndrome de sevrage, c’est-à-dire l’ensemble des symptômes provoqués par l’arrêt brutal de la consommation ou du jeu
- Incapacité de remplir des obligations importantes
- Usage même lorsqu’il y a un risque physique
- Problèmes personnels ou sociaux
- Désirs ou efforts persistants pour diminuer les doses ou l’activité
- Activités réduites au profit de la consommation ou du jeu
- Poursuite de la consommation malgré des dégâts physiques ou psychologiques
Selon l’Inserm, l’addiction est « qualifiée de faible si deux à trois critères sont satisfaits, modérée pour quatre à cinq critères et sévère pour six critères et plus. Les experts du DSM ne recensent comme addiction que les dépendances aux substances et celle aux jeux vidéo et d’argent. »
Comments