top of page

« En banlieue, les bénévoles expérimentent une formation unique »

Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Gilles Vieille-Marchiset, sociologue, nous parle de la place de la formation dans les clubs sportifs des quartiers populaires. 

En 2017, la FSGT 13 avait mis en place des activités physiques et sportives dans les cités marseillaises. Un acte formateur pour les bénévoles.
En 2017, la FSGT 13 avait mis en place des activités physiques et sportives dans les cités marseillaises. Un acte formateur pour les bénévoles.

La question de la formation dans le sport associatif reste peu connue. Gilles Vieille-Marchiset, sociologue en poste à l’université de Strasbourg, étudie depuis plus vingt ans la situation du sport associatif en France. Il a coordonné une recherche-action nationale sur l’innovation sociale et les clubs sportifs en banlieue (2007-2011), dont le rapport avait été remis à Maurice Leroy, alors ministre de la ville, et Gérard Larcher, président du Sénat. Nous explorons donc en sa compagnie la question de la formation dans le sport associatif dans les quartiers populaires et surtout la problématique de la reconnaissance de la richesse sociale qui s’y construit, de manière trop souvent invisible.


Selon vos recherches sur le terrain sportif associatif en milieu populaire, quelle place y occupe la formation ?

 

Gilles Vieille-Marchiset : Il s’avère particulièrement délicat d’appréhender cet enjeu, car nous manquons de données et de vision globale. Je peux simplement me référer aux enquêtes que j’ai mené auprès de certains clubs sportifs basés dans ce qu’on désigne de façon générique aujourd’hui la banlieue, autrement dit les périphéries autour des centres urbains. Je peux également m’appuyer sur ce qui a pu être produit par ailleurs par d’autres collègues universitaires ou leurs étudiants. Premier point à préciser : nous observons clairement une forme de montée en compétences des bénévoles et des dirigeants dans les clubs sportifs populaires. En fait, je me suis rendu compte que ce processus d’acquisition des compétences favorise en retour l’intégration de jeunes d’horizons très divers au sein de l’association concernée. Par exemple, les dirigeants sportifs sont contraints de se former à des méthodologies imposées par les pouvoirs publics, des exigences plus en plus complexes - par exemple dans le cadre de ce qu’on désigne comme la construction de projet, afin d’obtenir des subventions -, sans oublier les demandes régulières d’évaluations exigées pour les justifier a posteriori. Les pouvoirs publics imposent un certain nombre de normes d’obédiences libérales, présentes donc dans les montages de dossiers, qui obligent les dirigeants sportifs à assimiler sur le tas des formes d’apprentissage informels indispensables au bon fonctionnement d’un club sportif. Ce fut l’un des enseignements de mon travail de terrain. J’ai pu constater une montée en compétences extraordinaire chez ces personnes pour s’adapter à cette situation et à ces contraintes qui peuvent sembler très lourdes, insurmontables ou décourageantes vues de l’extérieur.

 

Cette montée en compétences débouche-t-elle forcément sur une forme de professionnalisation ?

 

Gilles Vieille-Marchiset  : Je peux difficilement m’exprimer sur les logiques de professionnalisation ou de certification au sens large, par manque d’études ou de statistiques fiables. Cependant, j’ai pu m’en constituer un petit aperçu au sein de mes activités universitaires de formateur à Strasbourg, notamment avec des diplômes professionnalisants destinés à des jeunes sportifs issus des banlieues qui arrivent en Staps ou s’inscrivent pour décrocher des diplômes d'études universitaires scientifiques et techniques. Ces personnes viennent souvent se former à la suite de leur parcours et de leur investissement associatif. Quant au versant de l’éducation populaire, il faudrait davantage se pencher sur le rôle du Bafa.

 

L’engagement dans le sport associatif dans les quartiers populaires suppose-t-il de suivre une sorte de formation permanente ?

 

Gilles Vieille-Marchiset  : Prenons déjà le cas du domaine administratif. Les bénévoles dans les clubs sportifs de banlieue se retrouvent obligés de répondre aux attentes des autorités de tutelles ou des administrations qui les financent et de fournir des preuves de leurs résultats. Ils ou elles s’improvisent, en quelque sorte, managers de ces associations pour assumer toutes les charges inhérentes à leur fonctionnement, autant dans les relations avec l’extérieur, le versant institutions ou politiques, qu’en interne dans leurs structures pour organiser des compétitions, dégoter des créneaux dans les infrastructures sportives comme les gymnases ou les stades. Tous ces apprentissages, extrêmement pratiques et indispensables au-delà même de la seule sphère associative, s’avèrent sous-estimés. Ils sont pourtant importants et peuvent être exploités ensuite dans des formations plus formelles, brevets fédéraux ou divers diplômes jeunesse et sport, voire peut-être dans des logiques de VAE. Les savoir-faire que possèdent déjà les étudiants que je croise sont évidemment un atout dans les formations professionnalisantes et éclairent la valeur du secteur associatif en tant qu’espace de formation au sens large. 

 

L’investissement dans le sport associatif ne se résume donc pas forcément qu’à une ligne en bas d’un CV ?

 

Gilles Vieille-Marchiset  : Les bénévoles expérimentent au quotidien une formation sur le tas assez unique via l’animation. Plusieurs chercheurs ont pointé précisément cette réalité trop méconnue. Akim Oualhaci, qui a étudié les sports de combats, a parfaitement démontré comment les entraîneurs se forment au contact du « réel » pour gérer les jeunes pratiquants de la meilleure façon possible, en termes sportifs évidemment, en termes sociaux ou culturels, et également sur le versant administratif que j’ai précédemment évoqué. Nous pouvons donc observer une démarche d’apprentissage qui peut effectivement se retrouver validée par l’obtention d’un diplôme ou d’une VAE, mais pas forcément, malheureusement.

 

Cette expérience irremplaçable du terrain en banlieue n’est donc pas assez estimée aujourd’hui ?

 

Gilles Vieille-Marchiset  : Au risque de me répéter, je suis totalement convaincu qu’on ne met pas assez en valeur les compétences acquises au sein du milieu sportif associatif, qui pourraient être reconnues à leur juste mesure par une véritable politique de validation des expériences. Au lieu de cela, on fait miroiter aux jeunes qui s’impliquent dans le sport associatif des formations, souvent privées et parfois très onéreuses. Au contraire, je pense qu’un vrai plan d’accès massif à la VAE s’avérerait davantage pertinent pour ces personnes issues de banlieue qui ont accumulés en dix ou quinze ans des savoirs autodidactes extrêmement précieux. Une politique aussi ambitieuse accorderait enfin aux milieux populaires la reconnaissance de leurs compétences restant trop souvent en dehors du champ de vision institutionnel. Un de mes étudiants, Aymane Dahane, ayant travaillé sur le street workout, a permis de prendre la mesure de l’acquis de compétences informelles dans l’entre soi de ces nouvelles pratiques urbaines afin de pouvoir gérer un club, un programme d’entraînement… Il faudrait donc capitaliser, pour le plus grand bénéfice de la société, cette merveilleuse richesse. 

 

Le cadre actuel n’est pas assez adapté selon vous ?

 

Gilles Vieille-Marchiset  : Les formations sportives doivent être repensées. Elles se sont, en quelque sorte, énormément scolarisées. Le monde sportif ne peut fonctionner comme l’école, sa spécificité se situe sur un autre plan. Il devrait davantage valoriser d’autres styles d’apprentissages en actes, un peu à l’image du compagnonnage dans l’artisanat. Il faudrait insister sur des formations très pratiques, lors desquelles les personnes s’approprient explicitement leurs statuts et leur savoir-faire in situ, dans les associations, au contact des pratiquants. Il serait, en l’occurrence, intéressant de mettre en place des démarches d’accompagnement véritablement originales. Cela existe ailleurs dans le monde professionnel par le biais de l’alternance. Les compétences acquises sur le terrain, au fil des années, agrègent une richesse inestimable pour notre société. 

コメント


コメント機能がオフになっています。
bottom of page