« Est-il possible de réformer le foot sans abolir le capitalisme ? »
- Nicolas Kssis
- 7 janv.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 janv.
Animateur du média Dialectik Football, Yann Dey-Helle vient de sortir Atlas du football populaire (éditions terres de Feu). Entretien.

Pourquoi avoir écrit Atlas du football populaire ?
Yann Dey-Helle : Ce livre s’inscrit dans la continuité du travail mené depuis des années avec le média Dialectik Football. Il s’agit d’une recension d’initiatives en alternative au foot business, entendu au sens très large. Un contact a été établi avec les éditions terre de Feu, et le projet éditorial a pris forme. J’ai conscience que la définition du football populaire peut s’avérer problématique ou ambivalente. Il est possible d’y projeter des valeurs ou des logiques fort différentes. Ma définition, qui traverse le bouquin, est celle d’un football pour le peuple et par le peuple. Cela va par exemple se concrétiser à travers des clubs gérés intégralement par leurs membres. Ensuite, évidemment, les configurations fluctuent selon les cas ou les pays.
Quel constat émerge de ce panorama ?
Yann Dey-Helle : On réalise qu’il n’existe pas de façon dogmatique de concevoir le football populaire. La diversité des propositions se révèle impressionnante chez celles et ceux qui veulent en finir avec le foot business. Par-delà la plasticité des solutions et la dynamique des associations ou des organisations, il importe également de se rendre compte que le rapport de force demeure particulièrement déséquilibré. J’en suis arrivé à soumettre un questionnement : étant donné que le football busines est intrinsèquement lié à l’économie capitaliste, est-il possible de reformer le foot sans abolir le capitalisme ? Il me paraît profondément erroné d’envisager le ballon rond comme une sphère à part. Ce dernier est inévitablement relié à des considérations politiques, ou sociales, déterminantes. Il faut transformer le terrain de jeux en terrains de luttes.
Quel est pour vous le club archétype du foot populaire dans l’Hexagone ?
Yann Dey-Helle : En France, sans comparer avec l'envergure de structures comme le Football club united de Manchester (Angleterre), on peut mettre en avant le travail réalisé par le Ménilmontant football club 1871, association parisienne dont l'équipe masculine joue au niveau départemental. Avec l'ambition d'un fonctionnement autogestionnaire et un accent mis sur les valeurs de solidarité et d'antifascisme, c'est le club qui incarne le mieux le foot populaire sur les terrains de la Fédération française de football.
Si le livre recense principalement des initiatives européennes, il est également question de l’Amérique du Sud. Quelles sont les spécificités de cette partie du continent américain ?
Yann Dey-Helle : Disons qu'en Amérique du Sud, hormis le caractère de classe affirmé par une partie des barras bravas [groupe de supporters], l'expression d'un football populaire a tendance à passer par la mise en place d'écoles de foot dans les zones paupérisées. Ce n'est pas le seul aspect. On retrouve aussi plusieurs projets féministes. Ces collectifs construits autour de la pratique du football s'inscrivent directement dans une démarche d'autodéfense populaire.
Peut-on défendre une conception populaire du football en étant supporter ?
Yann Dey-Helle : Les groupes de supporters, particulièrement ultras, ont toujours été une des forces motrices de la contestation du foot business. Ce sont souvent des supporters, dégoutés par les travers commerciaux et sécuritaires du football, que l'on retrouve à l'origine des clubs d'actionnariat populaire en Angleterre, en Italie ou en Espagne. La revendication de penser les clubs comme des biens communs, plutôt que des entreprises, vient généralement du peuple des tribunes. Mais sans aller jusque-là, la défense d'un football populaire passe aussi par les actes de résistance contre la multipropriété, les desiderata des diffuseurs ou les dérives répressives des instances.
Le football populaire permet-il de résister à la montée de l’extrême-droite ?
Yann Dey-Helle : Cette montée dépasse largement le contexte du foot. Mais, parmi d'autres, les partisans d'un ballon rond populaire et antifasciste jouent bien sûr un rôle contre l'extrême-droite. On le voit à travers les prises de position sur des sujets centraux, comme l'accueil et la solidarité envers les réfugiés ou la dénonciation des violences policières. En ouvrant des espaces d'auto-organisation, de sociabilité et d'entraide, le pari du football populaire revient aussi à prendre le contre-pied de l'individualisme et de la division, desquels se nourrissent l'extrême-droite, mais aussi le bloc bourgeois réactionnaire.
Où se situe la FSGT dans ce spectre ?
Yann Dey-Helle : Cette fédération est un repère pour pas mal de gens qui se reconnaissent dans la démarche du football populaire, qui désirent construire un autre foot. C’est une pratique de camarades, moins obsédés par la compétition, dans un esprit de convivialité et souvent de solidarité. Pour ma part, je trouve que le passage du sport ouvrier au sport populaire a quelque peu atténué le côté politique. Toutefois, la volonté de trouver des fédérations « autres » que les succursales de la Fifa reste une réelle demande au sein du sport populaire et pas seulement en France. En Italie ou en Angleterre, les clubs engagent souvent des équipes dans d’autres compétitions que celles de l'instance officielle. De la sorte, la FSGT incarne sans conteste une pièce importante dans le puzzle du football populaire. J’ai moi-même joué au foot autoarbitré à 7 dans le passé, et je raconte d’ailleurs la genèse de cette interprétation du ballon rond dans le livre. Un dernier aspect attire mon attention : c’est la grande capacité de la FSGT à être en avance ou pionnière dans les évolutions. Je le remarque par exemple dans le cas du walking foot. Par ce biais, cette fédération reste un acteur de la politisation du football.
Comments