Au début du mois de juillet, des militant·es FSGT se sont retrouvé·es en Ardèche pour prendre part aux Estivales. L’objectif de cette édition 2022 ? Prendre de la hauteur sur la gestion quotidienne afin d’interroger la cohérence entre la politique de développement de la Fédération et les besoins de la population !
À la fois temps de formation, d'analyse, de réflexion et de contribution, les « Estivales » font partie de la riche vie institutionnelle de la Fédération. Organisée du 4 au 8 juillet derniers à Vallon Pont d’Arc (Ardèche), l’édition 2022 invitait à se questionner sur la notion de développement fédéral en appui sur trois entrées : les contenus d’activités, la fabrique des militant·es et la vie associative.
Pendant cinq jours, 40 bénévoles et salarié·es engagé·es ont donc collectivement analysé le contexte social, politique et sportif, partagé leurs expériences et parcours associatifs et croisé le tout avec le projet FSGT. Le tout dans un cadre sportif (à travers la découverte de nombreuses activités physiques) et naturel revigorant !
« Au point de départ de la politique, il y a toujours de l’insupportable. » En ouverture des travaux des Estivales le lundi 4 juillet, Gilles Rotillon, professeur émérite en sciences économiques à l’université Paris-Nanterre, militant de la FSGT et auteur du livre Le climat ET la fin du mois (éditions Maïa), citait Michel Foucault pour poser les contours du débat et explique comment la forte abstention aux élections et les mouvements de lutte traduisent « un passage d’un comportement d’adhésion à celui de refus ».
Car le processus d'individualisation n’est pas exogène. Autrement dit, le système capitaliste et néo-libéral forme les personnalités dont il a besoin pour durer et favoriser l’individualisme. Prenons l’exemple du « métavers », un univers créé par le réseau Facebook permettant aux êtres humains de créer leur avatar pour vivre dans l'irréel.
Cela signifie que le capitalisme, en crise dans le réel, cherche comme porte de sortie à coloniser l’imaginaire ! Et le sport ne sera pas épargné en transformant en marchandise tout un pan de l’activité mentale… « Cette fuite en avant oublie que, pour exister, elle broie les hommes autant que la nature », traduisait Gilles Rotillon.
Dans ce contexte, la voie de la solidarité et de l’émancipation doit être notre réponse collective, notamment à travers la vie associative et des contenus adaptés. « Si je suis à l’aise à la FSGT depuis 55 ans, ce n’est pas pour rien », concluait l’économiste.
« Il y a un intérêt dans les associations car on n’explique pas ce qu’il faut faire. Cela se passe par des pratiques partagées où on fabrique du lien social. Il y a un projet global, avec des rapports humains nouveaux qui se créent. »
Contenu de l’activité & fabrique du militantisme
La référence à la notion de « développement de la FSGT » est fréquente. Mais le modèle économique d’une fédération sportive impose souvent de se référer aux critères quantitatifs relatifs au nombre d’affiliations et de licencié·es. C’est cette pression économique qui laisse la gestion prendre le pas sur le projet politique ou encore favorise une dépendance aux appels à projets et financements.
Maîtriser son projet politique nécessite ainsi de clarifier le sens donné au développement et de penser « un commun » à cultiver. Le mardi 5 juillet, Yves Renoux, membre de la Direction fédérale collégiale, proposait de « développer la FSGT en appui sur chacune des formes du capital - social culturel, économique et symbolique - définies par Pierre Bourdieu, en renforçant la cohérence du système de part les interactions favorables entre ces composantes ».
Dans ce cadre, la portée omnisport (« omnisport » devant s’entendre au sens de la pratique culturelle que représente une activité sportive associative et de la place centrale qu’y occupe l’être humain) et émancipatrice du projet de la Fédération prend tout son sens dans sa capacité à générer du lien social et des innovations.
L’enjeu est de créer une réelle alternative au sport marchand - car l’émancipation ne s’achète pas - pour sortir de l’anthropocène *, être solidaire et écologiquement responsable. Le développement, c’est également notre capacité à « transformer ce capital en expérience construite, avec l’idée que le vécu n’est pas forcément conscientisé, et la nécessité d’espaces de formation adaptés », ajoutait Ingrid Fichter, Directrice technique nationale placée auprès de la FSGT.
Identifiée comme une priorité du projet de développement 2022-2024 dans le cadre des 90 ans de la FSGT, la formation ou la fabrique des militant·es est une préoccupation majeure de toute organisation d’éducation populaire pour garantir la pérennité de son projet et le renouvellement de ses instances d’animation et de direction à tous les échelons du territoire…
Mais « on ne fabrique pas des militants comme on fabrique des voitures », ironisait Philippe Segrestan, militant de la montagne-escalade FSGT, le jour suivant en insistant sur la force de la rencontre entre la cause que l’on défend, l’organisation et la personne.
La logique du militantisme est fondée sur un échange : donner, recevoir, rendre. Dans la lignée du sociologue Jacques Ion, qui parle de l’évolution de l’engagement du timbre (qu’on colle sur la carte d’adhésion) à celui du post-it (qui passe d’une organisation à une autre), Philippe Segrestan insiste sur l’exigence de reconnaissance de l’individualité dans l’engagement militant.
Pour ne pas risquer une dilution du projet (être adhérent·e à la FSGT est différent d’être militant·e) ou une vie associative conviviale sans conception politique, changer les modalités d’animation d’un mouvement associatif s’impose. À quoi ressemblerait la FSGT en 2024 si son seul projet était l’organisation de manifestations sportives dénuée de tout engagement pour une transformation de la société ?
La vie associative de demain
Les Estivales se sont terminées par des perspectives, voire de la prospective, pour penser le projet de la FSGT comme un espace de formation de militant·es associatif·ves et la diffusion de 2121, hypothèses, associations le vendredi 8 juillet.
Ce documentaire met en valeur une dynamique associative au service du bien commun, porteuse d'émancipation et vectrice de transformations sociales, et il est réalisé par le Collectif 21. Le Collectif 21 est une association belge qui milite pour maintenir le statut des associations loi 1921 (l’équivalent français de la loi 1901 sur la liberté associative) alors que leur cadre législatif a basculé en 2020 dans celui du Code des sociétés et des associations, faisant ainsi de l'association sans but lucratif une entreprise comme une autre.
Risque de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en France et en Europe, multiplication des canicules et des sécheresses en raison du réchauffement climatique, guerres mondiales, déplacements accrus de réfugié·es… L’avenir n’a rien de réjouissant, en particulier pour les jeunes, et les seules raisons d’espérer sont le besoin de solidarité !
La Fédération ne doit donc pas se replier sur elle-même et travailler avec des collectivités, des associations et fédérations de différents champs d’actions, des administrations publiques, voire des entreprises locales, soucieuses de l’être humain.
Une certitude : ce sont nos spécificités dans les contenus et formes d’organisation qui permettront à notre projet de vivre. La France regorge d'appétits à faire de la politique autrement, à cultiver une certaine forme de radicalité, à changer le cours des choses pour une société plus juste, égalitaire et humaine. A deux ans du 90e anniversaire de la FSGT, à nous, collectivement, de saisir cette opportunité.
* L'anthropocène est une proposition d'époque géologique qui commencerait lorsque l'influence de l'être humain sur la géologie et les écosystèmes est devenue significative à l'échelle de l'histoire de la Terre.
Des clés pour favoriser l'engagement militant
En appui sur les parcours des participant·es aux dernières Estivales FSGT, plusieurs facteurs déterminants de réussite pour favoriser l'engagement militant ont été soulignés. Tout d’abord, « la sollicitation par un tiers » figure en tête du premier pas vers l’engagement. On est d’abord sollicité pour ses compétences, mais la diversité des formes d’implication est essentielle a n que chacune et chacun puisse trouver sa place. En effet, ce n’est pas parce qu’on est militant·e que l’on va prendre du plaisir partout ! Il faut donc reconnaître les compétences et proposer des missions adaptées aux besoins du/de la nouveau·elle bénévole et de l'organisation. Par ailleurs, l’engagement militant est une manière de sortir des seules sphères de l’espace professionnel et familial, et notamment des rapports de subordination. D’où l’enjeu de contenus et formes d’organisation favorisant la prise d’initiative dans le cadre d’un projet clair qui n’est pas remis en question chaque jour. Les circonstances politiques, ou encore familiales, sont évidemment un facteur accélérateur de l’engagement, tout comme la volonté de changer la société. Les rencontres décisives, l’effet de groupe ainsi qu’un accueil réussi sont d’autres étapes clés. En n, vigilance, la vie associative est souvent idéalisée. Or il n’y a pas d’engagement militant sans passion et affect, et les conflits et la souffrance peuvent venir jouer les troubles fêtes... À l’organisation de créer les espaces de reconnaissance et de dialogue adaptés.
Emmanuelle Bonnet Oulaldj
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