Produite par le Campus Condorcet (Aubervilliers), l’exposition Figures militantes du sport populaire - Mouvement social et histoire du sport au XXe siècle est une véritable réussite.
Petite visite guidée...
Le Campus Condorcet est un établissement public spécialisé dans la recherche en sciences humaines et sociales. Disposant d’un site à Paris, il en possède également un à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, et ce dernier accueille en ce moment l’exposition Figures militantes du sport populaire - Mouvement social et histoire du sport au XXe siècle.
Pour y accéder, il faut descendre à la station « Front populaire », tout un symbole donc, de la ligne 12. En chemin, des personnages grandeur nature balisent l’itinéraire. Par exemple un Auguste Delaune, ancien dirigeant du sport travailliste, représenté en pleine course, et portant fièrement un maillot « Sport libre » (du nom d’un réseau de résistance pendant l’Occupation).
Dans l’Humathèque du Campus, nous parvenons enfin à destination. Cette exposition (gratuite) consacrée à 25 héros et héroïnes du sport populaire s’inscrit, on s’en doute, dans une série d’événements liés à la tenue des Jeux olympiques et paralympiques cet été. Elle a d’ailleurs été labellisée Paris 2024 dans le cadre de l’Olympiade culturelle.
Toutefois, le projet affiche également une perspective singulière en accord avec la vocation du site universitaire. Il s’agit d’éclairer les processus de démocratisation de la pratique sportive, reliés aux luttes ouvrières et aux mouvements sociaux, en mettant en valeur des acteurs et actrices issu·es du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, le réputé et affectueusement surnommé « Maitron » (en hommage à son initiateur, Jean Maitron, grand historien de l’anarchisme).
On comprend donc qu’il ne s’agit pas de faire défiler les anciennes gloires du sport français. Un tout autre kaléidoscope de profils éclate sous nos yeux. « Certains sont de parfaits inconnus, d’autres sont oubliés de la mémoire collective », détaillait Le Parisien en décembre 2023.
« Et puis, il y a ceux qui font partie de notre quotidien, et pourraient presque faire l’objet d’un quiz de géographie urbaine et sociale sans, pourtant, qu’on ait une idée bien précise de qui ils sont. »
Femmes et immigration
L’exposition est pensée à l’image d’un labyrinthe, propice à une déambulation didactique entre les époques, les territoires, les familles partisanes et les enjeux de sociétés (sport féminin, immigration, gestion municipale, journalisme…). Les personnalités croquées et dessinées par l’illustrateur Fred Sochard peuvent posséder une certaine notoriété ou postérité. Tel est le cas de Léo Lagrange, premier « ministre des Sports » en 1936, ou de Georges Marrane, coprésident de la FSGT à sa naissance en 1934, maire communiste d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et ministre de la Santé en 1945.
Il en va de même pour Alice Milliat, pionnière du sport féminin, désormais largement reconnue à titre posthume. À l’initiative d’Emmanuelle Bonnet Oulaldj, coprésidente de la FSGT, une statue en son honneur a d’ailleurs été inaugurée dans le hall d’entrée du CNOSF en 2021.
Cependant, au fil des panneaux, d’autres femmes prennent corps dans notre mémoire. Marie Houdré, par exemple, une institutrice socialiste qui lança une nouvelle forme de rugby. Ou encore Lucienne Richard, ouvrière dans le textile et la métallurgie, militante des Jeunesses socialistes puis communiste résistante, qui fonda, avec son mari, l’Union sportive d’Ivry.
Nous croisons également l’importance de l’immigration dans l’histoire, souvent tragique, de la France au XXe siècle. Notamment avec Germaine Bach, résistante communiste et déportée, qui adhère au Yiddisher arbeiter sport klub, club sportif juif ouvrier, en 1934. Quelques décennies plus tard, Saïd Bouzir débarque de Tunisie. Il rejoint les rangs de la Gauche prolétarienne, puis cofonde le Mouvement des travailleurs arabes qui se mobilise en faveur de l’égalité entre travailleur·ses français·es et immigré·es. En 1972, il lance aussi un club de football, l’Étoile sportive arabe, regroupant des joueurs d’origine maghrébine.
À travers ces visages, loin de l’apolitisme de façade qui nous est vendu en ce moment, la dette du sport envers les grands combats sociaux et politiques apparaît bien concrète et toujours vivante. Le parcours de Jo Dauchy, un des promoteurs du foot autoarbitré à 7 FSGT créé lors des grèves de mai 68, parle de lui-même !
Partenariats et conférences
L'exposition « s’inscrit, selon les historiens Karim Taharount, Emmanuel Bellanger, Paul Boulland et Hélène Caroux, commissaires de l’exposition, dans le contexte de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, appelés à rayonner sur le territoire de la banlieue nord », est-il rappelé sur le site Internet qui lui est dédié.
« Elle apporte un regard original sur cet événement, en rappelant que le sport, y compris de haut niveau, se nourrit aussi de l’engagement de militantes et militants souvent méconnus, investis dans l’animation de collectifs, dans la création d’équipements sportifs, dans la transmission des savoirs et l’évolution des pratiques et des apprentissages. »
Cette perspective est également soulignée par les partenariats tissés pour aboutir à cette belle réussite, par ailleurs partie prenante du programme de recherche « Du monde d’avant au monde d’après » de l’Institut des sciences humaines et sociales du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Parmi les divers contributeurs ; les équipes de l’Humathèque et le CNRS, mais aussi le Centre d’histoire sociale (CHS) des mondes contemporains, le département de la Seine-Saint-Denis, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Plaine Commune, Paris 2024, Ciné-Archives et le Comité FSGT 93.
Signalons que ce dernier a proposé des animations sportives, telles que l’escalade, le basket freestyle ou encore le walking foot, lors de l’inauguration... Une expérience qui se renouvellera le 9 mars prochain.
Enfin, pendant la durée de l’exposition, un cycle de conférences sous forme d’Université populaire se tiendra dans l’auditorium de l’Humathèque. Ces conférences, conçues par le CHS et ouvertes à tous et toutes, croiseront la parole des chercheurs et chercheuses avec celle de témoins et militant·es. Elles auront lieu deux jeudis par mois de 17h à 18h30. La dernière se déroulera le 25 avril 2024.
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