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Photo du rédacteurNicolas Kssis

Football | 1938 : Coupe du monde ouvrière en France

Trop souvent, l’histoire du football se confond ou se résume avec celle des grandes compétitions de la Fifa. Toutefois, un autre modèle porté par les Internationales sportives ouvrières fut lancé dans l’entre-deux-guerres. La FSGT fit d’ailleurs partie des organisations qui proposèrent de grandes épreuves, attirant des sélections étrangères et un large public. Ainsi, en 1938, alors que la France accueille un Mondial de foot qui va consacrer, encore une fois, l’Italie fasciste, la toute jeune fédération met en effet en place un tournoi international de prestige dans le cadre des festivités du trentième anniversaire du sport travailliste…

© FSGT

« Ce qui prime dans l'équipe soviétique, c'est la ligne d'avants avec, comme étoiles, l'ailier gauche Fiedotov et le centre avant Stepanov ; ligne d'avants au jeu homogène et d'une géométrie impeccable. Ils ne courent jamais après la balle. Les passes sont d'une précision mathématique, et lorsqu'un Fiedotov, un Stepanov est en possession du ballon à moins de vingt-cinq mètres des buts, inutile de se leurrer, un boulet sec et rapide atterrit dans les filets. »


Dans son édition du 27 juin 1938, le journal sportif L'Auto, l’ancêtre de L’Équipe, décrypte les raisons de la large victoire (6-0) de l’URSS, représentée par le Torpedo Moscou, face à la Norvège lors de la finale de la Coupe du Monde travailliste de Paris.


S’étant déroulé la veille au stade Pershing devant 15 000 spectateurs et spectatrices, ce match constituait le clou d’une série de manifestations sportives célébrant le trentième anniversaire de la fondation du sport ouvrier dans l’Hexagone.


Si la presse sportive prête une attention particulière aux joueurs de Staline, c’est d’abord parce que l’URSS se tient alors à l’écart, et pour tout dire en face, du sport « bourgeois », alors même que ses athlètes, et ses footballeurs, semblent capables de rivaliser avec « l’ennemi de classe ».


Comme on peut le lire dans son numéro de juillet 1938, Sport, le journal de la FSGT de l’époque, en a pleinement conscience :

« Ce tournoi international vient de clore la saison de football de la FSGT dans une apothéose triomphale. Naturellement, le clou de nos manifestations fut la superbe équipe soviétique Torpedo dont la réputation n’est pas surfaite. Tous ceux qui ont droit à la parole au sujet du football ont constaté, et déclaré officiellement, que les Soviétiques sont vraiment de classe internationale et que, dans la Coupe du Monde, il aurait fallu compter avec eux. »

De fait, l’URSS dispose d’un championnat professionnel qui ne dit pas son nom, avec de grands clubs financés par les entreprises d’État, par exemple la métallurgie pour le Torpedo. Dans les rangs de ce dernier, on retrouve d’ailleurs Viktor Aleksandrovitch Maslov. Joueur qui deviendra, après guerre, un entraîneur de renommée internationale, notamment parce qu’il est considéré comme l’inventeur du système tactique dit du « 4-4-2 ».


Notons que cette curiosité et cette fascination ne concernent pas que les footballeurs lors de ce raout omnisport de la fédération travailliste… L’Auto (toujours dans son édition du 27/06/38) suit particulièrement le nageur Simon Boitchenko qui tombe « tous les records » à Paris.


Des Uruguayens rouges

Mais revenons au rectangle vert. Alors que la Fifa (Fédération internationale de football association) s’émancipe du Comité international olympique et lance, en 1930, sa Coupe du monde afin de concurrencer le tournoi olympique, les Internationales sportives ouvrières mettent également en place leurs propres épreuves internationales.


Si les Olympiades de l'Isos (Internationale sportive ouvrière socialiste), liée à l’Internationale socialiste donc, disposent évidemment de leurs tournois de football, les Communistes ne sont pas en reste. Ainsi, en 1928, les premières « Spartakiades » de l’IRS (Internationale rouge sportive), organisation basée en URSS, se déroulent à Moscou.


La Coupe de football de cette démonstration sportive de masse a la singularité de recevoir une sélection de footballeurs uruguayens communistes qui a fait le très long déplacement. Une sensation quand on sait que les joueurs uruguayens, que les Français·es avaient d’ailleurs pu voir lors des Jeux olympiques de Paris en 1924, commencent déjà à faire parler d'eux !

L’Humanité, le quotidien du Parti communiste, en profite déjà pour souligner les qualités des Sud-Américains. « Le jeu des Uruguayens ouvriers est aussi artistique que celui des Uruguayens bourgeois que nous avons vus à Paris », peut-on lire dans son édition du 26 août 1928. Seule équipe à tenir la dragée haute aux Soviétiques, ils arrivent à se hisser en demi-finale.

En août 1934 à Paris, la FST (Fédération sportive du travail), adhérente à l’Internationale rouge sportive, organise une première Coupe du monde ouvrière de football dans le cadre du « Rassemblement des sportifs contre le fascisme et la guerre impérialiste » qui a pour vocation de remplacer les Spartakiades qui n’ont pas pu se tenir cette année-là.


Le contexte français insuffle une nouvelle dimension à cette compétition… En effet, un processus unitaire est à l’œuvre au sein du sport travailliste français. Il débouchera sur la fusion entre la FST et l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail d’obédience socialiste et donnera naissance à la FSGT en décembre.


Sur le terrain, les douze équipes (URSS, USA, Angleterre, Suède, Alsace, Espagne etc.) qui s’affrontent lors de cette Coupe du monde sont d’ailleurs issues des rangs communistes comme socialistes.


Deux ans plus tard, l’Olimpiada popular de Barcelone, imaginée en opposition aux Jeux olympiques de la honte dans l’Allemagne nazie, doit également fournir un riche programme en football, mais ne peut se dérouler en raison du début de la guerre civile espagnole. Quelques footballeurs reviendront se battre dans les Brigades internationales.


Pour suppléer à l’Olimpiada popular, une « Labour world Cup » se dispute dans la capitale en 1937, en même temps que l’Exposition universelle. L'URSS y est présente, via la formation du Spartak Moscou, ainsi qu’une sélection espagnole venue de Barcelone. La finale, disputée le 8 août au stade de Colombes (Hauts-de-Seine) voit les Soviétiques l’emporter 2-0 sur les Catalans devant une assistance de 9000 personnes.


L’équipe de France ouvrière

L’année suivante, la FSGT réitère donc l’opération dans le cadre des festivités du trentième anniversaire du sport travailliste. Il s’agit surtout alors de montrer la puissance de la toute jeune fédération, qui a dépassé les 100 000 membres dans la lancée du Front Populaire, et son rôle d’équilibriste entre les deux mouvances idéologiques du sport ouvrier international.


René Rousseau, un de ses dirigeants nationaux de l’époque, l’explique fort justement dans le Sport de juillet 38 :

« Jamais nos manifestations sportives n’ont connu un succès comparable à celui remporté à l’occasion des fêtes du Trentenaire. Cet anniversaire a eu la célébration qui convenait à son importance. Il nous a permis de vérifier la grande force d’attraction qu’exerce la FSGT sur le monde sportif, nous autorisant tous les espoirs. Autre satisfaction qui nous fut donnée : l’esprit fraternel, la volonté d’union qui se dégagea de nos rencontres. La participation aux fêtes de l’URSS, adhérente à l’IRS, de la Norvège et de l’Espagne, indépendantes comme nous, de la Suisse adhérente à l’Isos, est témoignage du désir des sportifs de tous les pays de voir se réaliser l’Union Internationale. »

De son côté, L’Humanité illustre d’un point de vue nettement plus diplomatique et institutionnel ce rapprochement autour de la finale URSS-Norvège. « Dans les tribunes avaient pris place les camarades Souritz, ambassadeur de l'URSS, Hirschfel, chargé d'affaires au Consulat soviétique, Biroukov, consul général, M.Havlik, secrétaire du consulat tchécoslovaque, nos amis Marrane, président de la FSGT, conseiller général ; Brout, Benoît, Rigal ; députés Arrachart, secrétaire de la Fédération du bâtiment, Naile, conseiller général de Clichy, Ztromsky, de la CAP du Parti socialiste, etc. », liste le journal dans son édition du 27 juin 1938.

« Toute la direction de la FSGT, avec Guillevic et Delaune, secrétaires généraux, était également présente. »

Néanmoins, personne n’oublie la réalité du terrain… Car pendant cette édition, les modestes footballeurs amateurs de la FSGT réussissent à se distinguer ! « Dans une partie très émotionnante, la France a battu la Tchécoslovaquie par 4 à 3 et se classe troisième », note-on toujours dans le Sport de juillet 1938.


Lors de la Coupe du monde organisée par la Fifa la même année, les Bleus sont éliminés dès les quarts de finale par l’équipe de l’Italie fasciste qui, durant son hymne, tendait le bras en l’air…

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