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Igor Martinache l « Les chantiers des Jeux n’ont pas été exemplaires »

Dernière mise à jour : 23 févr.

Travailleur·e·s, faites vos Jeux (éditions Arcane 17), l’ouvrage écrit par Igor Martinache et Jean-François Davoust, revient sur les implications sociales et politiques des prochains JOP de Paris 2024 et le premier cité a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

Dans le cadre de l’organisation des JOP de Paris 2024, quels problèmes se sont posés concernant les droits des travailleur·ses ?

Igor Martinache : Le Mondial de football au Qatar a enfin mis en lumière les conditions de travail effroyables des ouvriers étrangers chargés de construire les stades. Une situation très proche de l’esclavage moderne. On pourrait penser qu’en France, le Code du travail et l’exposition médiatique auraient rendu les chantiers des infrastructures prévues pour les Jeux olympiques et paralympiques exemplaires, mais ce n’est pas le cas. La sous-traitance en cascade qui y règne, comme dans le reste du BTP, conjuguée à de fortes pressions pour tenir le calendrier et les coûts, ont favorisé l’embauche de travailleurs sans-papiers par certains sous-traitants peu scrupuleux, pour ne pas dire mafieux, au détriment de leurs droits les plus basiques puisque leur statut juridique ne leur permet guère de se plaindre. On peut observer d’autres atteintes aux droits des travailleuses et travailleurs. Par exemple dans la sécurité privée : on sait déjà que l’organisation va requérir un nombre d’agents bien supérieur aux effectifs de professionnels disponibles, en conséquence de quoi le gouvernement a fait passer une loi abaissant la durée de formation exigée de ces professionnels (105 heures au lieu de 165), mais seulement pour le temps de la compétition. Faute de modules prévus pour compléter cette formation, ils devront ensuite soit la recommencer à zéro, soit se reconvertir… Il faut aussi évoquer le cas des milliers de « volontaires » indispensables au déroulement de l’événement qui, non seulement remplissent des emplois qui auraient pu être salariés, vont devoir assumer un certain nombre de frais de leur poche. Sans oublier le cas des athlètes qui font littéralement le spectacle, mais vivent, pour la plupart, dans une grande précarité tout au long de l’année et sacrifient énormément pour pouvoir prendre part aux Jeux.


Les grands événements sportifs peuvent-ils se révéler socialement favorables aux États ?

Igor Martinache : Les grandes institutions sportives internationales, telles que le CIO ou la Fifa, imposent littéralement leur loi aux États qui accueillent leurs compétitions. Une loi olympique, promulguée le 19 mai dernier, prévoit ainsi un certain nombre de dérogations au droit du travail, comme aux libertés individuelles, en faveur des organisateurs. Et le Conseil d’État lui-même a reconnu que ces mesures étaient destinées à être pérennisées… Il ne faut cependant pas y voir une fatalité. C’est avant tout une affaire de rapports de force qui n’est pas forcément en faveur des institutions internationales, surtout dans la période actuelle où elles sont prises en étau entre une montée du refus d’accueillir les compétitions par les populations locales et des fédérations internationales et d’autres initiatives privées qui cherchent à prendre leur autonomie et organiser des méga-événements sportifs leur faisant concurrence.


Visant à faire des JOP un événement responsable sur le plan économique, social et environnemental, la Charte sociale Paris 2024 sera-t-elle vraiment utile ?

Igor Martinache : Du fait de son caractère non contraignant, on pourrait penser que cette Charte sociale et les seize engagements qu’elle comporte constituent simplement une démarche de socialwashing. Néanmoins, à une époque où l’information se répand comme une traînée de poudre et où la réputation constitue une ressource primordiale, ces engagements peuvent être retournés contre ceux qui les ont pris, à commencer par les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques. Sans être un aboutissement, la Charte sociale peut constituer un levier pour les salarié·es pour faire valoir leur droit et la visibilité offerte par les JOP constitue un levier puissant pour tout type de mobilisation : grèves, manifestations, etc. À noter enfin que les Jeux favorisent également les contacts entre syndicats de différents pays, notamment sur les enjeux liés au sport, ainsi que des réflexions au sein de l’OIT, notamment à propos de la condition des travailleuses et travailleurs sportifs. Tout dépend finalement de ce que les acteurs concernés en feront, mais il semble important de ne pas céder à une vision trop souvent manichéenne lorsqu’il est question de sport, consistant soit à en enchanter tous les aspects, soit à les diaboliser. Celui-ci est finalement surtout un miroir grossissant des contradictions qui traversent l’ensemble de la société.

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