Ces dernières années, les cas de staphylocoques se sont multipliés dans les salles de sports de combat et d’arts martiaux. Une amatrice de luta livre et un entraîneur de MMA nous expliquent comment ces bactéries impactent les pratiquant·es et livrent quelques pistes pour tenter de ne pas en contracter.
« La première fois que ça m’est arrivé, j’ai eu un bouton sur le bras et un autre au niveau du visage », raconte Romain*, un entraîneur de MMA alsacien âgé de 30 ans.
« J’avais l’impression que mon oreille gonflait et je ne pouvais plus toucher mon coude. Au bout d’une semaine, j’ai commencé à avoir de la fièvre et j’ai compris que quelque chose n’allait pas. J’ai donc fini par aller voir un médecin qui m’a annoncé que j’avais un staphylocoque... »
Les staphylocoques sont des bactéries dont l’habitat naturel est l’homme. « Elles font partie de la flore cutanée et colonisent particulièrement les muqueuses externes », précise l’Institut Pasteur. Mais « fréquemment retrouvés dans l'environnement (eaux non-traitées, sols, objets souillés) », les staphylocoques sont également susceptibles d’être « impliqués dans des pathologies variées et de degrés de gravité divers ».
Connues du grand public pour être responsables d'infections nosocomiales, ces bactéries « peuvent aussi être contractées en dehors de l’hôpital », assure l’Institut. Et notamment dans les salles d’entraînement de clubs de sports de combat et d’arts martiaux. Âgée d’une vingtaine d’années et amatrice de luta livre, une discipline originaire du Brésil et mêlant des techniques de projection et de soumission, Sofia* a par exemple développé quatre infections en six années de pratique ! L’une d’entre elles a d’ailleurs été particulièrement éprouvante…
« Au départ, c’était juste un petit bouton, comme une piqûre de moustique, situé sur la jambe », se souvient celle qui vit actuellement en région parisienne.
« Mais c’est devenu une énorme boule en trois jours à peine. J’avais tellement mal que je ne pouvais plus poser le pied par terre. Je devais me déplacer avec des béquilles. »
Cité au tout début de l’article, Romain en a lui contracté trois. « La deuxième fois, c’était au niveau du genou », témoigne-il.
« Les antibiotiques habituellement prescrits contre les staphylocoques ne semblaient pas assez efficaces et j’ai dû me rendre à l’hôpital pour vérifier que l’articulation n’était pas atteinte. »
Un phénomène grandissant
Pour pénétrer dans l’organisme, les staphylocoques n’ont besoin que d’une brèche dans la barrière cutanée. Une simple lésion (ampoule, égratignure ou encore brûlure) en contact avec ces bactéries peut donc rapidement provoquer une infection. Et pour ne rien n’arranger, les staphylocoques passent souvent inaperçus les premiers jours…
« Au début, quelqu’un qui n’a jamais été infecté peut penser qu’il s’agit juste d’un poil incarné », prévient Romain. « Quand j’ai commencé la luta livre, je m’entraînais avec une fille », enchaîne Sofia.
« Un jour, on avait toutes les deux une marque rouge sur le bras. Comme nous ne savions pas ce que c’était, on a voulu continuer la séance normalement. Mais notre coach s’en est finalement rendu compte et nous a expliqué que c’était des staphylocoques ! »
L’arrivée de néophytes au sein des clubs joue ainsi un rôle important dans ce phénomène qui semble prendre de plus en plus d’ampleur. « Je pratique des sports de combat et des arts martiaux depuis quinze ans maintenant, mais ce n’est que fin 2020 que j’en ai commencé à entendre parler de ces bactéries », note Romain.
« Je savais qu’il y avait déjà eu des vagues de conjonctivites ou de mycoses dans les clubs, mais, maintenant, on n’arrive plus à compter les gens qui sont touchés par des staphylocoques. Certaines infections prennent d’ailleurs des formes très grave [lire encadré ci-dessous] et on sait que des combattants professionnels ont abîmé leur foie à force de prendre des antibiotiques pour les soigner. »
De ce fait, la menace des staphylocoques enlève un peu de légèreté dans des disciplines qui sont des activités de loisir pour la plupart des pratiquant·es. « C’est un peu comme le Covid-19, tu te demandes tout le temps si tu es une source de contamination », regrette Romain. « Sincèrement, c’est très stressant », estime quant à elle Sofia.
« Je sais ô combien c’est douloureux et que ça va m’empêcher de m’entraîner et de sortir de chez moi pendant une dizaine de jours. Sans oublier la peur de contaminer mes proches… »
Dorénavant, cette dernière inspecte discrètement les bras et les jambes de ses partenaires. Se douchant toujours en claquettes, elle se lave avec des savons antiseptiques après chaque séance, désinfecte et couvre systématiquement chaque plaie avant et évite d’aller à l’entraînement si l’une d’elles est ouverte. « Et quand je remarque que les tapis de sol sont sales, je ne peux plus faire comme si de rien n’était », assure Sofia.
« Ça m’est déjà arrivé de dire au coach : "allez, viens, on les lave." »
L’hygiène, un apprentissage
Essentielle dans la lutte contre les staphylocoques, la bonne hygiène des salles de sports de combat et d’arts martiaux incombe aux pratiquant·es, mais également aux clubs qui les occupent. « Face au nombre d’infections contractées dans notre structure, tous les tapis ont été remplacés », indique par exemple Romain.
« Il y a aussi eu un travail effectué avec un épidémiologiste afin de trouver les meilleurs produits pour nettoyer les sols et des affichettes, destinées à aider nos membres à reconnaître des staphylocoques, ont été placardées dans tous les vestiaires. »
La charge de la désinfection des salles repose souvent sur les épaules des coachs. Or, du fait de la popularité grandissante des sports de combat, les entraîneur·ses sont débordé·es et n’ont pas forcément le temps de tout nettoyer entre deux séances. « On voit fréquemment des cheveux, des poils ou de l’humidité sur les tapis avant le début de l’entraînement », se désole Sofia.
Les coachs ont aussi le devoir d’inspecter leurs élèves en vérifiant que leurs ongles sont correctement coupés et qu’ils/elles n’ont pas de plaie ouverte ou de marque rouge sur leurs corps. Mais plusieurs d’entre eux/elles ont tendance à faire reposer cette responsabilité sur les adhérent·es ! Une mauvaise idée selon Sofia : « même s’ils ont le moindre doute, des nouveaux venus ou des personnes tout simplement timides n’oseront jamais demander à un autre membre de quitter la salle ».
L’amatrice de luta livre plaide plutôt en faveur de la formation de chacun·e. « L’hygiène, ça devrait faire partie de l’apprentissage des sports de combat », estime-t-elle.
« Certains entraîneurs l’ont déjà compris et n’hésitent pas à prendre le temps de rappeler les bons gestes à avoir avant et après chaque cours, à ne jamais marcher pieds nus en dehors des tapis… »
Enfin, l’aspect « performance » peut également jouer un rôle clé dans le développement des staphylocoques au sein des salles. « Il y a parfois un côté un peu malsain chez les compétiteurs », concède Romain.
« On te pousse à t’entraîner à fond, à ne jamais rater une séance. Pour ne pas passer pour un "bidon", certains vont cacher leurs infections et donc risquer de les transmettre aux autres. »
Bref, et si c’était les mentalités qu’il fallait changer ?
*Les prénoms des intervenant·es ont été changés.
Laura Kotelnikoff-Béart
Érysipèle : Le calvaire d’un pratiquant de MMA
Les staphylocoques peuvent être à l’origine d’une grave infection cutanée : l’érysipèle. Amateur de MMA, Nicolas (29 ans) a malheureusement contracté cette maladie l’année dernière… « J’étais en voyage à l’étranger et je me suis réveillé un matin avec une douleur insupportable », se souvient-il. « J’avais l’impression de m’être fracturé la jambe. » L’apparition d’une fièvre très importante quelques heures plus tard pousse ses amis à le conduire à l’hôpital. « Après une batterie de tests, on m’a annoncé que j’avais un staphylocoque », indique le jeune homme « Bactérie attrapée lors d’un entraînement de mon club quelques jours plus tôt. » De retour en France, il est admis dans un service spécialisé et des examens complémentaires affinent le diagnostic : il s’agit d’un érysipèle. Après huit jours d’antibiotiques et d’hospitalisation, Nicolas peut rentrer chez lui. Mais, l’infection repart finalement de plus belle et s'étend à l’os. Il doit donc être opéré en urgence… S'ensuivront les visites quotidiennes d’un infirmer pour nettoyer la plaie et des douleurs fantômes durant plusieurs semaines. Pourtant, ce sportif n'hésitera pas à reprendre le MMA. « Si je n’ai pas changé de club, je ne pratique plus dans les mêmes conditions », précise-t-il néanmoins. Ainsi, Nicolas accorde aujourd’hui une attention particulière à la désinfection de son corps avant et après chaque entraînement et le couvre quasi-intégralement pendant.
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