Les échecs font partie du sport populaire depuis ses débuts. S’il a fallu longtemps se battre pour convaincre certain·es de la dimension sportive de cette pratique, sa progression sera réelle. Et notamment rythmée par des rencontres avec des sportifs du bloc de l’Est ou l’organisation de grandes épreuves nationales et internationales.
« Camarades sportifs, jouons aux échecs… » Dans un numéro d’août 1935, Sport, la revue de la toute jeune FSGT, invite ses adhérent·es à dépasser leurs a priori et à se lancer dans cette pratique. Car pour la Fédération travailliste, cette ambition s’avère aussi importante que la démocratisation de disciplines élitistes de l’époque comme les sports de montagne et possède donc une dimension hautement politique !
« À notre époque, les travailleurs manuels et intellectuels doivent vivre et lutter contre l’oppression du système capitaliste », est-il précisé dans l’article.
« La jeunesse travailleuse, à qui l’on refuse toute distraction saine, doit, par ses propres moyens, établir, organiser sa propre distraction. Après le dur travail, il faut qu'elle puisse se livrer à des jeux qui lui procurent la détente nécessaire, jeu du muscle ou jeu de la pensée. Le jeu des échecs donne à ceux qui le pratiquent le moyen de se divertir tout en développant leur savoir. Il tient à la fois de la science, de l’art et du jeu. »
Une rubrique voit le jour à côté des traditionnels mots croisés et un petit journal - le Bulletin ouvrier des échecs - est d’ailleurs publié tous les mois par la Commission échecs de la FSGT. « Chaque semaine, ici, un de nos camarades techniciens publiera : problèmes, études, parties commentées, nouvelles, curiosités... », indique Sport en octobre 1935.
« Notre programme tient en trois mots : initier, instruire et intéresser. Initier ceux qui ignorent encore notre jeu, c'est-à-dire leur révéler l’existence de ce magnifique " Stade de l’Esprit ". Instruire ceux qui le pratiquent déjà afin que, plus forts, ils y prennent plus de plaisir. Intéresser enfin les uns et les autres à tous les aspects des échecs. »
En février 1939, un long article de Sport défend, cette fois, la dimension sportive de cette pratique :
« Le plaisir que l’on retire d’une partie d’échecs est très complexe. Il y a les satisfactions d’ordre sportif, en quelque sorte : la lutte à armes égales avec l’adversaire, le " juste combat " que le hasard ne vient jamais fausser, la joie de la victoire durement acquise, et tout ce qu’on peut dire de n’importe quel sport de compétition. Mais il y a aussi les satisfactions d’ordre esthétique (...) À peine un débutant connaît-il la marche des pièces qu’il parle de " jolis " coups, de " belles " combinaisons. »
De jolies rencontres…
La question de la dimension sportive des échecs avait été réglée depuis longtemps dans la patrie du socialisme chère aux ouvriers français. « En URSS, cette distinction n’a même pas de sens, les syndicats et le gouvernement ayant fait du jeu des échecs le jeu national », lit-on toujours dans le Sport de février 1939.
« On y compte des joueurs par millions. »
Heureusement, « le travail fait par la FSGT montre déjà que ce retard pourra être rattrapé ». Et à cette époque, le pragmatisme l’emporte pour recruter de futurs joueurs… Ainsi, le « lieu rêvé pour de telles réunions de propagande ne peut être qu’un café. Un café bien situé, avec patron sympathisant, pas trop de clientèle pour ne pas faire figure de gêneurs, mais suffisamment cependant pour avoir quelque chance de recruter de nouveaux adeptes. »
L’après-guerre voit se prolonger la volonté de développer les échecs au sein de la Fédération et les autres pays du bloc de l’Est servent de références évidentes. Dans la foulée du grand frère soviétique, la discipline y est en effet devenue incontournable et c’est une très bonne raison pour s’y rendre régulièrement ! « Du 20 au 30 août, une sélection de neuf joueurs d’échecs de la FSGT (…) a séjourné en Bulgarie pour y rencontrer une sélection syndicale », explique justement SPA (Sport et plein air, le successeur de Sport) en septembre 1954.
« Ils sont tous rentrés chargés de souvenirs et d’impressions inoubliables. »
Les échecs participent désormais pleinement à la vie de la FSGT. Et le Championnat international organisé lors de son 30e anniversaire à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) en 1964 est l’occasion d’asseoir sa reconnaissance auprès de la FFE (Fédération française d’échecs). « Les présences effectives de M. Bernier, vice-président de la FFE et de M. Sire, secrétaire général de la FFE, étaient très remarquées durant ces journées dont l’importance nationale en reçut la consécration par la venue de M. le Dr Augeise, président de la FFE, qui salua notre secrétaire général, M. Grandin, et apporta officiellement les vœux de sa Fédération pour le succès de notre manifestation et de l’équipe de France FSGT », affirme SPA dans son numéro de juin.
Mais la « sportivisation » des échecs doit toujours continuer ! Dans les colonnes du Sport et plein air de mai 1974, Jacques Macles, responsable du Club municipal Aubervilliers et maître national FSGT-FFE, jure que « les échecs, c’est un sport ! Et qui demande une très grande maîtrise de soi. Acquérir cette maîtrise, ce n’est possible que si tu es dans une condition physique excellente. Pour gagner dans ce sport, il faut réfléchir, comprendre le plan, la tactique de l’adversaire, comme dans les autres activités sportives de compétition. »
Pour lui, réaliser une autre discipline physique en parallèle est donc très utile pour progresser. Pour éclairer son propos, il cite les cas « des deux vedettes des derniers championnats du monde : Fischer et Spassky. L’un comme l’autre pratique des activités sportives de bons niveaux. Fischer la natation, Spassky est un joueur classé en tennis. » Un exemple pas du tout anodin… La Guerre froide, qui avait envahi le champ olympique, a en effet largement débordé sur le damier. Pour l’URSS, dominer dans ce sport emblématique demeure essentiel pour le régime et la confrontation en Islande en 1972 entre le Soviétique Boris Spassky et l’Américain Bobby Fischer prend une tournure éminemment politique. Mais, finalement, le champion en titre s'inclinera face à son adversaire capitaliste à la 21e partie et devant 50 millions de téléspectateurs.
… et de grandes manifestations !
En France, la FSGT poursuit ses efforts pour promouvoir la pratique. Des initiations sont proposées pendant chaque Fête de L’Humanité en Île-de-France et l’activité échecs fera partie de celles « ayant drainé le plus de participants » lors de l’édition 1986 (Sport et plein air de novembre de la même année).
De leur côté, certains clubs de la Fédération proposent des tournois prestigieux, parfois internationaux. Citons par exemple le cas du Cercle d'échecs de Cappelle-la-Grande (Nord). « Pour les responsables, c'était un pari que de développer cette discipline " intellectuelle " parmi une population de travailleurs d'usines », rappelle-t-on dans le SPA d’avril 1988. « Aujourd'hui, le Cercle compte 300 pratiquants, du débutant au joueur de niveau national. »
Pour entretenir la dynamique, « il fut décidé d'organiser une grande manifestation internationale. Dès 1985, cela était possible parce que l'on pouvait construire un projet associant la municipalité (subventions et installations), la FSGT (délégations étrangères) et les dizaines de bénévoles qui assument toute l'organisation du tournoi, y compris la réalisation des repas », continue l’auteur de l’article. Président d’honneur de l’événement, le grand champion soviétique Garri Kasparov déclarera être « très heureux de la popularité des échecs parmi les ouvriers de la France. Je soutiens vivement les liens amicaux des échequistes-ouvriers de la France et de l'URSS. »
Enfin homologués en tant qu'activité sportive par le ministère des Sports en 2000, les échecs sont de nouveau mis à l’honneur dans le Sport et plein air de mars 2001. On les présente comme un « sport cérébral arraché à l'élite » et la Commission sportive fédérale de la discipline est évoquée. On apprend d’ailleurs que cette dernière organise aussi de grandes épreuves dont une partie des Rencontres nationales et internationales du Cap-d’Agde (Hérault) qui constituent une « véritable vitrine des échecs à la fois populaires et de haut niveau. Neuf jours à chaque fois inoubliables. En plein bassin méditerranéen, avec des partenariats nombreux, des animations, rencontres, écoles de jeunes, et des parties sur Internet, le tout lors de séjours de haute qualité pour les joueurs et leurs familles, tout comme les innombrables invités. » Une initiative qui perdure encore à l’heure actuelle…
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